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« "Laïcité, le mot sent la poudre" 1, note sous Tribunal administratif de Caen, 5 octobre 1999, M. et Mme Sedrettin DOGRU & Tribunal administratif de Caen, 5 octobre 1999, M. et Mme Gursel KERVANCI »
 

(Gazette du Palais, 17-18 novembre 2000, n° 322 à 323, pp. 31-40)




I — UNE PROCÉDURE D’EXCLUSION RÉGULIÈRE ?

A — Des arrêtés insuffisamment motivés
B — La motivation, une obligation à respecter scrupuleusement

II — UNE FAUTE DES ÉLÈVES ?

A — L’obligation d’assiduité
B — L’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement normal du service public



La laïcité 2 désigne à l’origine ce qui a un caractère laïc, par opposition au domaine qui relève des clercs. Puis, le concept évolue pour désigner une conception politique et sociale impliquant la séparation de la religion et de l’État et son indépendance à l’égard de toute croyance religieuse. La première application remarquable du principe de laïcité est faite à l'École de la République, qui est le véritable berceau d'un concept qui trouvera sa consécration dans la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État.

Il est acquis depuis longtemps — et la solution, réaffirmée avec force par le Conseil d'État, n'a pas varié — que la laïcité impose aux enseignants des établissements scolaires publics de respecter de manière particulièrement scrupuleuse l'obligation de neutralité à l'égard des usagers du service public que sont les élèves. Dans sa lettre aux instituteurs du 27 novembre 1883 3, Jules FERRY, Président du Conseil et ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, invitait à ne toucher qu’avec le plus grand scrupule « à cette chose délicate et sacrée qui est la conscience de l’enfant » et précisait : « parlez donc à [un] enfant comme vous voudriez que l'on parlât au vôtre : avec force et autorité, toutes les fois qu'il s'agit d'une vérité incontestée, d'un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve dès que vous risquez d'effleurer un sentiment religieux dont vous n'êtes pas juge ».

L'obligation de neutralité était traditionnellement étendue par la pratique administrative aux élèves ; le service public de l'enseignement était donc marqué par « une doctrine de la laïcité différente (...) de celle qui s'applique au reste de la vie publique » 4. Les défenseurs de cette interprétation du principe de laïcité — de cette « laïcité de combat », suivant l'expression du Professeur RIVERO 5 — considèrent que « parce qu'elle s'adresse à tous, l'École n'admet aucun signe distinctif marquant délibérément et a priori l'appartenance de ceux qu'elle accueille » 6.

Suite à une rentrée scolaire 1989/90 houleuse, plusieurs jeunes filles musulmanes ayant refusé, invoquant des motifs tirés d'impératifs religieux et malgré les demandes en ce sens de leurs enseignants, de retirer pendant les heures de cours le foulard qu'elles portaient sur la tête, le Conseil d'État a, dans un avis devenu célèbre 7, déterminé les implications du principe de laïcité.

Le corpus juridique utilisé par le Conseil d'État pour cerner la notion de laïcité provient tant de l'ordre interne, notamment du droit constitutionnel, que du droit international 8. Opérant une conciliation des principes de liberté de conscience et de laïcité pour en tirer la conclusion que « le principe de la laïcité de l'enseignement public, qui est l'un des éléments de la laïcité de l'État et de la neutralité de l'ensemble des services publics, impose que l'enseignement soit dispensé dans le respect, d'une part, de cette neutralité par les programmes et par les enseignants et, d'autre part, de la liberté de conscience des élèves » 9, « liberté [qui] comporte pour eux le droit d'exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l'intérieur des établissements scolaires » 10, le Haut Conseil précise néanmoins un certain nombre de limites à l’exercice de ladite liberté, qui tendent à assurer le respect des libertés de la personne ainsi que le fonctionnement normal du service public de l'enseignement.

Ces principes, que l'on retrouve à l'identique dans les décisions rendues par les juridictions administratives au contentieux, semblent désormais bien connus des autorités disciplinaires de l'Éducation nationale, qui prennent soin de motiver les sanctions disciplinaires qu'elles arrêtent quand il leur apparaît que les élèves abusent de la liberté de conscience qui leur est reconnue par référence aux limites énoncées par le juge administratif.

C'est ainsi qu'en février 1999, le conseil de discipline du collège Jean-Monnet de Flers, dans l’Orne, pour exclure définitivement deux jeunes filles, Belgin DOGRU et Esmâ-Nur KERVANCI, qui avaient refusé de retirer le foulard qu’elles portaient sur la tête pendant les cours d’éducation physique et sportive, a invoqué d'une part le non-respect de l’obligation d’assiduité et d'autre part les troubles occasionnés dans le fonctionnement normal du service public.

Ces deux décisions de conseil de discipline furent déférées au recteur d’académie par la voie du recours institué par l’article 31 alinéa 2 du décret n° 85-924 du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d’enseignement 11 et furent confirmées par deux arrêtés en date du 17 mars 1999. Les parents des jeunes filles intentèrent alors des recours pour excès de pouvoir contre les deux arrêtés, sur lesquels le Tribunal administratif de Caen rend, le 5 octobre 1999, deux jugements 12 qui, au terme de raisonnements identiques, déboutent les requérants, en considérant que la procédure suivie est régulière (I) et que les jeunes filles, par leur attitude, ont bien commis des fautes de nature à justifier leur exclusion définitive (II) — il convient de relever dès à présent que seuls les époux KERVANCI ont interjeté appel du jugement du Tribunal devant la Cour administrative d’appel de Nantes, par une requête enregistrée au début du mois de décembre 1999.


I — UNE PROCÉDURE D’EXCLUSION RÉGULIÈRE ?


Le décret n° 85-1348 du 18 décembre 1985 relatif aux procédures disciplinaires dans les collèges, les lycées et les établissements d’éducation spéciale 13 dispose en son article 6 que « Le chef d’établissement précise à l’élève cité à comparaître les faits qui lui sont reprochés et lui fait savoir qu’il pourra présenter sa défense oralement ou par écrit ou en se faisant assister par une personne de son choix. Si l’élève est mineur, cette communication est également faite aux personnes qui exercent à son égard la puissance parentale ou la tutelle (...) ». Il précise par ailleurs que « l’élève cité à comparaître, son représentant légal et la personne éventuellement chargée de l’assister pour présenter sa défense peuvent prendre connaissance du dossier auprès du chef d’établissement ». Ces règles s’appliquent tant devant le conseil de discipline de l’établissement que, le cas échéant, devant la commission académique d’appel que le recteur d’académie doit consulter pour avis 14 quand il est saisi de la décision du conseil de discipline en application du recours institué à l’article 3 du décret précité du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d’enseignement.

Ces règles entendent tirer les conséquences du principe du respect des droits de la défense, qui a été consacré en tant que principe général du droit par le Conseil d'État dans le célèbre arrêt ARAMU 15 et auquel le Conseil constitutionnel a conféré valeur constitutionnelle en y voyant un Principe fondamental reconnu par les lois de la République 16. Le Commissaire du gouvernement CHENOT, dans ses conclusions sur l’arrêt Dame Veuve TROMPIER-GRAVIER 17 en explique très simplement le sens : « lorsqu’une décision administrative prend le caractère d’une sanction et qu’elle porte une atteinte assez grave à une situation individuelle, la jurisprudence exige que l’intéressé ait été mis en mesure de discuter les motifs de la mesure qui le frappe ».

Le Tribunal administratif de Caen a bien entendu vérifié l’application correcte de ces règles dans les procédures qui ont conduit à l’exclusion définitive des demoiselles DOGRU et KERVANCI, pour conclure par l’affirmative 18 — sans pour autant se référer expressément aux notions de principe général du droit ou de principe de valeur constitutionnelle.

Par ailleurs, les sanctions disciplinaires infligées aux usagers du service public de l’enseignement entrent incontestablement dans le champ d’application de la loi du 11 juillet 1979 19 : elles doivent en conséquence être motivées. Ainsi, le recteur d’académie devait-il motiver les arrêtés par lesquels il a exclu définitivement Belgin DOGRU et Esmâ-Nur KERVANCI (A). Il est même permis de penser que l’obligation de motivation qui pèse sur l’administration dans le cadre du contentieux disciplinaire des établissements scolaires revêt une importance considérable et devrait être particulièrement approfondie (B).

A — Des arrêtés insuffisamment motivés
Quand elle existe, l’obligation de motivation, qui satisfait au principe démocratique par la transparence qu'elle assure, est une condition de bonne administration, imposant un examen attentif de chaque affaire. Elle favorise en outre le contrôle de l’administration par le juge, car elle impose à l’auteur de la décision de faire état de façon complète et précise des raisons de fait et de droit sur la base desquelles la décision a été arrêtée. Telles sont les règles que le Conseil d'État fait prévaloir en matière de motivation, qui excluent toute motivation générale et impersonnelle et notamment le simple rappel des termes d’une loi 20.

Les arrêtés rectoraux contestés en l’espèce précisent, dans une motivation identique et après avoir visé les textes dont ils ont entendu faire application, que les demoiselles DOGRU et KERVANCI « [ont] refusé d’ôter le foulard qu’elle[s] portai[ent] lors des cours d’éducation physique et sportive et [se sont] présentée[s] à ces cours en tenue de ville », qu’ainsi elles « [ont] enfreint les limites posées à la liberté d’expression reconnue aux élèves dans les établissements scolaires » et que « les discussions qui se sont déroulées notamment aux mois de janvier et février 1999 ont empêché le bon fonctionnement de l’établissement ».

Le Tribunal administratif de Caen, dans les deux affaires et conformément aux conclusions du Commissaire du gouvernement, a considéré que ces arrêtés étaient suffisamment motivés.

Or, si les motifs de fait qui ont justifié les décisions semblent en effet suffisamment exposés par le recteur d’académie, la question se pose de savoir si la simple référence aux « limites posées à la liberté d’expression reconnue aux élèves dans les établissements scolaires » — au nombre desquelles le Conseil d'État a rangé le « fonctionnement normal du service public » — a mis à même les intéressées de comprendre le sens et la portée exacts des décisions.

En effet, à la lecture des faits, parmi les limites que le Conseil d'État a indiquées dans son avis de 1989 comme pouvant justifier une limitation de la liberté d’expression reconnue aux élèves, plusieurs peuvent être invoquées dans les présentes affaires, ne serait-ce que l’obligation d’assiduité et l’ordre dans l’établissement — ainsi que le font eux-mêmes le recteur et le Tribunal administratif. Qu’ont alors entendu sanctionner le conseil de discipline du collège de Flers puis le recteur de l’académie de Caen : une faute, deux fautes, une faute avec circonstances aggravantes ? Dans quelle mesure les différents faits, qui se sont déroulés sur presque un mois, ont-ils concouru à la sanction, et dans quelle mesure la modification de leur comportement par les intéressées aurait-elle pu leur permettre d’échapper à la sanction disciplinaire ? Autant de questions qui demeurent sans réponse à la lecture des arrêtés rectoraux prononçant l’exclusion définitive de Belgin DOGRU et Esmâ-Nur KERVANCI.

Le Conseil d'État a pu considérer dans certaines espèces que « les textes et documents de référence étaient suffisamment précis sur les conditions à remplir pour qu’il soit fait droit à la demande de l’intéressé et que l’administration motive suffisamment sa décision de refus en indiquant qu’il ressort de l’examen du dossier que celui-ci ne remplit pas les conditions » 21. Or, la lecture des arrêts qui comportent ces formules semble mettre en évidence que l’administration était en situation de compétence liée, du fait même de la précision des textes applicables : la constatation de telle ou telle situation de fait entraînait ipso facto l’édiction d’une décision dans un sens déterminé. Telle ne semble pas être la situation dans le cas présent, les textes réservant à l’administration un large pouvoir d’appréciation, notamment quant aux faits pouvant être considérés comme des fautes disciplinaires, la plaçant ainsi en situation de compétence conditionnée. C’est pourquoi la connaissance des motifs de droit et de fait sur la base desquels a été prise la décision suppose que les exigences le plus souvent imposées en matière de motivation par le Conseil d'État soient respectées.

Ainsi, les textes de référence paraissent être trop imprécis pour que l’administration motive suffisamment sa décision en indiquant simplement que les limites à la liberté d’expression des élèves ont été franchies. La motivation des arrêtés rectoraux n’est donc à notre sens suffisante ni au regard de la nécessaire information de leurs destinataires, d’autant plus nécessaire d’ailleurs que nous nous situons dans le cadre d’un contentieux disciplinaire qui a conduit à des décisions particulièrement lourdes de conséquences et qui aurait permis à l'École de faire œuvre pédagogique, ni du point de vue des exigences traditionnellement imposées par le Conseil d'État.

Il appartiendra à la Cour administrative d’appel de Nantes et le cas échéant au Conseil d'État, par la voie du recours en cassation, de se prononcer sur le caractère (in)suffisant de la motivation de l’arrêté rectoral par lequel Esmâ-Nur KERVANCI a été exclue définitivement du collège Jean-Monnet de Flers.

B — La motivation, une obligation à respecter scrupuleusement
L’obligation de motivation revêt dans le domaine disciplinaire une importance particulière, puisqu’elle constitue l’ultime rempart des individus contre d’éventuelles sanctions arbitraires, faute pour le contentieux disciplinaire des établissements scolaires d'être totalement conforme aux exigences de la Constitution.

L’article 1er du décret précité n° 85-1348 du 18 décembre 1985 relatif aux procédures disciplinaires dans les collèges, les lycées et les établissements d’éducation spéciale, dans sa rédaction issue du décret n° 91-173 du 18 février 1991 relatif aux droits et obligations des élèves dans les établissements publics locaux d’enseignement du second degré 22, fait application du principe nulla poena sine lege, puisqu’il dispose qu’il « ne peut être prononcé de sanction non prévue au règlement intérieur ». Le Conseil d'État impose lui aussi le respect du principe de la légalité des peines en matière disciplinaire 23.

Il considère par ailleurs que « le principe de légalité des délits (...) s’applique aux sanctions administratives au même titre qu’aux sanctions pénales et (...) implique que les éléments constitutifs des infractions soient définis de façon précise et complète » 24. Il faut penser que cette obligation serait étendue au contentieux disciplinaire en général et à celui des établissements scolaires en particulier, conformément à la jurisprudence constitutionnelle.

En effet, si le Conseil constitutionnel a considéré 25 que « le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dès lors, d'une part, que la sanction susceptible d'être infligée est exclusive de toute privation de liberté et, d'autre part, que l'exercice du pouvoir de sanction est assorti par la loi de mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis » 26, il a aussi dégagé des principes qui régissent le prononcé d’une sanction en matière répressive, applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition — ce qui est, à l’évidence, le cas des sanctions disciplinaires — que leur prononcé ressortisse à la compétence d’une juridiction ou que le Législateur l’ait conféré à une autorité autre que juridictionnelle. « Il existe un droit répressif beaucoup plus large que le droit pénal, qui tend à l'application des principes du droit pénal ailleurs que dans le droit pénal » 27 : ainsi en est-il des sanctions des autorités administratives indépendantes 28, des décisions des commissions administratives en matière disciplinaire 29, des sanctions professionnelles 30. Ces principes sont de deux ordres, soit qu'ils résultent des articles VIII et IX de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, soit qu'ils se rattachent aux droits de la défense. Au nombre de ces principes, on compte la règle nullum crimen sine lege 31.

La nécessaire incrimination des faits 32 issue de la jurisprudence du Conseil constitutionnel « ne concern[e] pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s’éten[d] à toute sanction ayant le caractère d’une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle » 33.

Imposer le respect de ce principe présente certes des difficultés et risque d’introduire une certaine lourdeur dans le contentieux disciplinaire. Le Conseil constitutionnel a en effet jugé 34 qu’il résulte de l’article VIII de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, qui dispose que « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée », que le Législateur doit définir les infractions « en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire » 35. Toutefois, ce qui a été réalisé en droit pénal ne saurait être impossible en matière disciplinaire, d’autant qu’en-dehors du domaine pénal, le Conseil constitutionnel considère que « l’exigence [de] définition des infractions sanctionnées se trouve satisfaite (…) par la référence aux obligations » 36 que les lois et règlements imposent aux personnes en cause.

Mais même cette obligation minimale paraît ne pas être actuellement remplie. L’article 10 de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation 37 dispose que « Les obligations des élèves consistent dans l’accomplissement des tâches inhérentes à leurs études ; elles incluent l’assiduité et le respect des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements ». Le décret précité du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d’enseignement renvoie quant à lui, en son article 3, aux règlements intérieurs adoptés par les conseils d’administration de ces établissements pour définir « les droits et les devoirs de chacun des membres de la communauté scolaire. [Ces règlements déterminent] notamment les modalités selon lesquelles sont mis en application : — 1° Le respect des principes de laïcité et de pluralisme ; — 2° Le devoir de tolérance et de respect d’autrui dans sa personnalité et dans ses convictions ; — 3° Les garanties de protection contre toute agression physique ou morale et le devoir qui en découle pour chacun de n’user d’aucune violence ; — 4° L’obligation pour chaque élève de participer à toutes les activités correspondant à sa scolarité organisées par l’établissement et d’accomplir les tâches qui en découlent ». Sauf à priver les mots de leur sens, il semble difficile de considérer que l’exigence de précision propre à exclure l’arbitraire se trouve satisfaite par ces dispositions, surtout complétées par les dispositions des règlements intérieurs de chaque établissement, sans véritable coordination nationale ni contrôle des élus du peuple.

De surcroît, dans une décision du 18 janvier 1985 38, le Conseil constitutionnel a considéré que « si le principe de libre administration des collectivités territoriales a valeur constitutionnelle, il ne saurait conduire à ce que les conditions essentielles d’application d’une loi organisant l’exercice d’une liberté publique dépendent de décisions des collectivités territoriales et, ainsi, puissent ne pas être les mêmes sur l’ensemble du territoire » 39.

Le Conseil constitutionnel, par la rédaction de ce considérant, semble affirmer qu’existe de manière générale, non liée aux circonstances de l’espèce, une exigence constitutionnelle d’uniformité des conditions essentielles d’application des lois concernant les libertés publiques sur le territoire de la République 40. Considérant que cette exigence permet à la loi de restreindre la liberté d’administration des collectivités territoriales, pourtant constitutionnellement consacrée, il faut penser qu’elle s’applique a fortiori à des entités dont la libre administration n’est pas consacrée par la Constitution. Il est dès lors possible de penser que les conditions essentielles d’application d’une loi intéressant les libertés publiques ne doivent pas dépendre de décisions des autorités déconcentrées de l’État ou de ses établissements publics, si cela peut avoir pour conséquence une application différenciée sur le territoire français.

Le renvoi aux règlements intérieurs des établissements d’enseignement secondaire opéré par l’article 3 du décret du 30 août 1985 pour déterminer notamment comment les principes de laïcité et de pluralisme seront localement conciliés et appliqués — alors même que le pluralisme constitue, selon les sages de l’aile Montpensier du Palais-Royal, « le fondement de la démocratie » 41 — en n’excluant pas les « modalités d’application » qui peuvent être qualifiées d’« essentielles » au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, semble ainsi peu conforme à notre Loi fondamentale 42.

Pourtant, l’application des principes protecteurs issus de la jurisprudence constitutionnelle apparaît d’autant plus nécessaire que les sanctions susceptibles d’être prononcées dans le cadre du contentieux disciplinaire des établissements scolaires sont d’une telle importance sur leur avenir personnel et professionnel que ses justiciables doivent être défendus contre tout éventuel arbitraire. À cet égard, ce n’est pas porter la suspicion sur l'École de la République que de l’astreindre au respect de la règle nullum crimen sine lege, mais au contraire lui reconnaître un rôle si fondamental que nul ne saurait être abstrait de ce service public sans garanties au plus haut niveau de l’ordre normatif.

Le juge, serviteur de la Constitution, devrait théoriquement appliquer le principe de la légalité des délits — fût-ce avec pour résultat, dans l’insuffisance de la loi comme c’est le cas dans le domaine disciplinaire, l’annulation des décisions prononçant des sanctions disciplinaires. Une telle solution présente cependant le risque d’entraîner de graves perturbations dans le fonctionnement du service public et même de bloquer l’action administrative. Aussi, dans l’attente d’une intervention du Politique, le juge administratif pourrait-il peut-être trouver une solution provisoire en imposant un contrôle aussi approfondi que possible de la légalité des sanctions disciplinaires, en veillant notamment de manière particulièrement scrupuleuse à la motivation, afin d’offrir aux administrés un seuil minimum de garantie. L'examen particulièrement attentif du respect par l'administration de cette obligation de forme semble être en effet le préalable nécessaire au contrôle rigoureux de la qualification juridique des faits incriminés par les autorités disciplinaires.


II — UNE FAUTE DES ÉLÈVES ?

Refusant d'entrer dans le domaine du religieux en exerçant par exemple un contrôle sur le bien-fondé du motif religieux invoqué 43, le Conseil d'État soumet les revendications à caractère religieux à des règles communes, indépendantes des particularismes de chaque foi.

Le Haut Conseil a énoncé dans son avis du 27 novembre 1989 deux séries de limites à la liberté des élèves de manifester leurs croyances religieuses à l'intérieur de l'enceinte scolaire, les unes d'ordre général, les autres appliquées au « port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion » 44. Ces limites peuvent être regroupées autour de deux thèmes : la garantie des libertés de la personne 45 et le maintien de l'ordre et du fonctionnement normal des établissements scolaires. En particulier, l'exercice par les élèves de la liberté de conscience qui leur est reconnue ne doit pas porter atteinte « au contenu des programmes et à l'obligation d'assiduité » 46 (A) ni perturber « le déroulement des activités d'enseignement et le rôle éducatif des enseignants » 47, ou encore troubler « l'ordre dans l'établissement ou le fonctionnement normal du service public » 48 (B). C’est sur ce double fondement que le Tribunal administratif de Caen a jugé que les deux jeunes filles exclues du collège de Flers ont effectivement commis une faute disciplinaire de nature à justifier leur exclusion définitive.

A— L’obligation d’assiduité
Le Tribunal administratif de Caen, au terme d’un syllogisme dont les prémisses sont d’une part le caractère « incompatible » du port du foulard avec le « bon fonctionnement d’un cours d’éducation physique et sportive » et d’autre part le fait qu’à plusieurs reprises les jeunes filles se sont présentées au cours d’éducation physique et sportive la tête couverte d’un foulard, qu’elles ont refusé de retirer, pour finalement assister « au cours d’éducation physique et sportive en tenue de ville, la tête couverte d’un foulard », a jugé que lesdites jeunes filles ont ainsi « manqué à l’obligation d’assiduité » qui leur incombait.

Si, comme le relève le Tribunal administratif, la mineure du syllogisme n’est pas utilement contestée, la majeure ne laisse pas de questionner quant à son bien-fondé.

Le Tribunal procède en effet ici par assertion, sans expliquer en quoi le foulard est une « coiffure incompatible avec le bon fonctionnement d’un cours d’éducation physique et sportive ». Cette position de principe est identique à celle qu’avait adoptée le Conseil d'État dans un arrêt Époux AOUKILI 49. La Haute Assemblée avait considéré que « le port [du] foulard est incompatible avec le bon déroulement des cours d'éducation physique » ; les conclusions du Commissaire du gouvernement Yann AGUILA 50 sont à cet égard éclairantes, qui arguaient que « le seul refus d'ôter le voile était déjà fautif, dès lors que le déroulement en toute sécurité du cours de gymnastique, qui pourrait engager la responsabilité du professeur, exigeait une tenue vestimentaire adéquate ». M. AGUILA relève par ailleurs que la Commission européenne des droits de l'homme, faisant application de l'article 9§2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales accepte elle aussi des limitations de la liberté de religion pour des motifs tirés d'impératifs de sécurité 51.

Cette argumentation a été relayée par Monsieur DI PALMA dans ses conclusions sur les présentes espèces. Selon lui en effet, « les refus répétés de retirer le foulard (...) constituaient bien (...) en eux-mêmes une faute de nature à justifier une sanction » ; par ailleurs, « le fait que l’administration puisse considérer, notamment pour des motifs de sécurité et de compatibilité avec le déroulement des cours, que l’éducation physique et sportive, eu égard à ses spécificités, à sa nature et à la responsabilité particulière des professeurs concernés, ne pouvait être dispensée à des élèves portant un couvre-chef à titre permanent ne (...) semble pas constituer a priori une erreur de droit ou d’appréciation ».

Qu’il nous soit néanmoins permis de n’être pas totalement convaincus. Il semble en effet que le port d’un couvre-chef est compatible avec la pratique de nombre d’activités sportives — ne serait-ce que la course à pied 52... C’est donc d’appréciations motivées au cas par cas, ce qui fait défaut en l’espèce, que doivent procéder d’éventuelles interdictions.

Il est dès lors regrettable que les juridictions administratives refusent de mettre en œuvre le contrôle approfondi de la qualification juridique des faits qu’elles exercent par ailleurs en matière de mesures de police, contrôle par lequel elles subordonnent leur légalité à leur nécessité.

Conscient peut-être des limites de son argumentation, ce n’est pas sur l’unique fondement du non-respect de l’obligation d’assiduité que le Tribunal administratif de Caen refuse de faire droit aux demandes des époux DOGRU et KERVANCI : il invoque aussi le « climat de tension au sein de l’établissement » qu’a provoqué l’attitude des deux jeunes filles.

B — L’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement normal du service public
Après avoir invoqué le manquement à l’obligation d’assiduité, le Tribunal administratif de Caen joint un second motif pour refuser d’annuler les deux arrêtés rectoraux contestés : il considère que l’« attitude [des deux jeunes filles], qui a entraîné un climat de tension au sein de l’établissement, était de nature à justifier légalement [leur] exclusion définitive du collège Jean Monnet ».

Les motifs ainsi invoqués par le juge de première instance, issus de l’avis que le Conseil d'État avait rendu en 1989, sont très proches de ceux qui avaient fondé la solution de la Haute juridiction dans l’arrêt Époux AOUKILI 53.

Cette motivation du Tribunal administratif de Caen, si elle semble s’inscrire dans une ligne jurisprudentielle déjà établie par le Conseil d'État, appelle toutefois plusieurs remarques.

En premier lieu, le manquement à l’obligation d’assiduité, s’il a bien été considéré par le Tribunal comme une faute disciplinaire, semble, comme c’était le cas dans l’affaire AOUKILI, ne pas pouvoir fonder à lui seul une décision aussi importante qu’une exclusion définitive.

En conséquence, le second motif d’exclusion — « le climat de tension » — retenu par le Tribunal administratif pour affirmer la légalité des exclusions, qui n’est pas superfétatoire, apparaît dès lors bien laconique — même si on le rapproche des « discussions » dénoncées par le recteur de l’académie de Caen dans ses arrêtés ou de « la forte tension avec les enseignants et [des] différents mouvements de grève de leur part » rapportés par le Commissaire du gouvernement dans ses conclusions — conclusions qui, « quelle que soit l’aide précieuse qu’elles offrent, en aucun cas (...) ne constituent la justification de la décision rendue par le juge » 54.

Le Conseil d'État considère lui-même que « La lecture de la décision doit mettre à même les parties et éventuellement le juge d’appel ou de cassation de saisir par quel raisonnement juridique et, le cas échéant, par quelle appréciation des données de fait le moyen a été accueilli ou écarté » 55 ; bien que n’étant pas d’ordre public, la motivation des jugements est une règle générale de procédure de portée impérative 56. Le juge doit indiquer la consistance et la nature des faits retenus à la charge de l’intéressé, afin de mettre à même les juridictions supérieures d’exercer leur contrôle sur la qualification juridique, afin que le double degré de juridiction et le contrôle de cassation aient véritablement un sens. « En bref, le défaut de base légale, vice de fond qui affecte la régularité de la décision juridictionnelle, existe dès lors que le juge ne fait pas connaître "les faits (...) sur lesquels [il] s’appuie pour justifier sa thèse"» 57.

Il apparaît, au regard de ces critères, que le Tribunal administratif de Caen, dans les espèces DOGRU et KERVANCI, n’a pas respecté « L’obligation de motivation, [qui] est un principe fondamental imposé à toute juridiction » 58 et a dès lors entaché sa décision d’un défaut de base légale consécutif à une insuffisance de motifs, alors même qu’il eut été fort utile de connaître la consistance des troubles que le Tribunal administratif a retenus à l’encontre de Belgin DOGRU et Esmâ-Nur KERVANCI.

En effet, si par « climat de tension » il fallait entendre la réaction des enseignants 59, ce motif ne manquerait pas de surprendre, car les faits justifiant les sanctions ne seraient pas dus directement aux jeunes filles : dans cette logique, une forte réaction d'hostilité à l'encontre d'un élève entendant manifester son appartenance à une religion par le port d'un signe distinctif, pour peu qu'elle se manifeste ostensiblement et trouble d'une manière ou d'une autre l'ordre dans l'établissement, suffirait donc à limiter l'effectivité d'un droit pourtant constitutionnellement consacré.

En définitive, la situation est donc la suivante : un collège exclut deux jeunes filles parce que celles-ci ont entendu marquer leur appartenance religieuse en portant un foulard, y compris durant les heures d’éducation physique et sportive. Les exclusions définitives prononcées à leur encontre par le conseil de discipline sont confirmées par le recteur d’académie et jugées légales par le Juge administratif, alors même que la nécessité de l’interdiction du port du foulard n’apparaît pas comme étant évidente et que la référence au « climat de tension au sein de l’établissement » laisse perplexe. Est-ce alors le fait que les deux jeunes filles se soient présentées durant une semaine — soit deux séances — en tenue de ville — ce qui constitue à l’évidence une faute disciplinaire — qui a pu valablement motiver des décisions à l’impact aussi grave que des exclusions définitives ? C’est sur ces fondements bien incertains, tant sur la forme que sur le fond, que le Tribunal administratif de Caen a confirmé les exclusions définitives prononcées à l’encontre des demoiselles DOGRU et KERVANCI, au terme d’une dernière phase de raisonnement qui a consisté dans le contrôle normal — implicite — de la gravité des sanctions infligées, en application de la jurisprudence du Conseil d'État 60 : les juges ont jugé que l’attitude des deux jeunes filles « était de nature à justifier légalement leur exclusion ».

Dans l’attente de connaître la solution pour laquelle la Cour administrative d’appel de Nantes optera dans l’affaire KERVANCI, la position de principe adoptée par le service public et confirmée par son juge semble bien sévère. Peut-être faudrait-il revenir sur le terrain d’une véritable conciliation, d’autant que les intéressées, qui ne demandaient pas de dispense à l’obligation d’assister aux enseignements d’éducation physique et sportive 61, semblaient s’être engagées sur la voie du compromis, acceptant de remplacer le foulard par un bonnet ou une cagoule.



Conforme à une longue tradition de conciliation qui permet de résoudre les conflits en évitant la rupture, la solution dégagée par la Haute Assemblée dans son avis de 1989 permet à chacun d'exercer sa Liberté dans le respect de celle des autres et du fonctionnement normal du service public de l'enseignement, dans le cadre des missions que le Législateur lui a confiées. Ainsi, la jurisprudence a « renvers[é] l'approche trop rigoureuse qu'avaient certains des défenseurs [les] plus ardents [de la laïcité] » 62 pour redonner à la notion son sens originel : « L'enseignement est laïque, non parce qu'il interdit l'expression des différentes fois mais au contraire parce qu'il les tolère toutes » 63.

La laïcité, démembrement du principe de neutralité, corollaire du principe d'égalité, crée dans le service public de l'enseignement comme dans les autres services publics une créance des usagers sur la puissance publique, sans que la réciproque soit vérifiée : les usagers peuvent en effet exiger la neutralité, tout en conservant la liberté de manifester leurs opinions religieuses — excepté peut-être en matière d’éducation physique et sportive où l’on se trouve dans un contexte qui rappelle celui qui prévalait dans l’enseignement public tout entier avant 1989.

Cette jurisprudence n'a toutefois pas réussi à pacifier totalement un débat qui, périodiquement, occupe le prétoire du juge administratif et à cette occasion les antennes et les pages des médias.

Par ailleurs, pendant la campagne électorale de 1995, le Président de la République s'était déclaré hostile à la jurisprudence du Conseil d'État et avait semblé souhaiter l'intervention d'une loi 64 pour interdire le port du foulard à l'École 65. La perspective d’une intervention législative s’est éloignée depuis le début de la cohabitation. Pourtant, une telle intervention, outre qu’elle permettrait à n’en pas douter au Conseil constitutionnel de se prononcer sur le sens à donner à la notion de laïcité telle qu’inscrite dans le bloc de constitutionnalité, présenterait aussi le mérite de provoquer un débat des représentants de la Nation sur l’attitude qui doit être celle de la République au sujet de la religion.

Le fait religieux interroge en effet le peuple souverain quant à la possibilité d’accepter des projets de société qui peuvent être sous-tendus par des valeurs antithétiques des fondements mêmes de notre Pacte social.

Le juge n’évitera pas d’être confronté à ce problème. Se posera dès lors à lui la question de savoir d’une part s’il doit continuer à refuser, par principe, d’exercer tout contrôle sur les dogmes 66 et d’autre part s’il n’est pas nécessaire de reconnaître un effet horizontal aux droits fondamentaux, propre à s’appliquer y compris aux relations entre les "croyants", afin que prévalent toujours les Droits de l’Homme, auxquels le peuple français a proclamé « solennellement son attachement » 67 le 28 septembre 1958.

Laïcité... Si l'étincelle s'était un temps éloignée, le mot sent toujours la poudre.




Notes

1 Le titre de ce commentaire est emprunté au Professeur RIVERO, qui débutait ainsi l’article qu’il consacrait en 1949 à la notion juridique de laïcité (J. RIVERO, « La notion juridique de laïcité », D., 1949, p. 137).

2 Le mot apparaît en 1871 dans le Supplément du Littré.

3 Cette lettre est reproduite in Pouvoirs, 1995, n° 75, « La laïcité », p. 109.

4 J. RIVERO, « La notion juridique de laïcité », op. cit.

5 Ibid.

6 Voir un article co-signé par É. BADINTER, R. DEBRAY, A. FINKIELKRAUT, É. DE FONTENAY et C. KINTZLER dans Le Nouvel Observateur, 2-8 novembre 1989.

7 Avis n° 346.893 du Conseil d'État, Assemblée générale plénière, 27 novembre 1989, R.F.D.A., 1990, p. 6 ; A.J.D.A., 1990, p. 39. La Haute Assemblée avait été saisie par M. Lionel JOSPIN, alors ministre de l’Éducation nationale, sur les questions suivantes : « 1° si, compte tenu des principes posés par la Constitution et les lois de la République et eu égard à l'ensemble des règles d'organisation et de fonctionnement de l'école publique, le port de signes d'appartenance à une communauté religieuse est ou non compatible avec le principe de laïcité ; — 2° en cas de réponse affirmative, à quelles conditions des instructions du ministre, des dispositions du règlement intérieur des écoles, collèges et lycées, des décisions des directeurs d'école et chefs d'établissement pourraient l'admettre ; — 3° si l'inobservation d'une interdiction du port de tels signes ou des conditions prescrites pour celui-ci justifieraient le refus d'accueil dans l'établissement d'un nouvel élève, le refus d'accès opposé à un élève régulièrement inscrit, l'exclusion définitive de l'établissement ou du service public de l'éducation, et quelles procédures et quelles garanties devraient alors être mises en œuvre ». Comme le fait remarquer à très juste titre le Président COMBARNOUS (« L’enfant, l’école et la religion », in « Le Conseil d'État et la liberté religieuse », R.A., 1999, numéro spécial, p. 71), « poser la question en termes généraux, sans référence explicite à une situation particulière, c’était inviter le Conseil d'État à donner comme il l’a fait un véritable avis de règlement ».

8 Voir les vingt-trois visas en tête de l'avis n° 346.893 précité du Conseil d'État.

9 Avis n° 346.893 du Conseil d'État, Assemblée générale plénière, 27 novembre 1989, op cit.

10 Ibid.

11 J.O., 31 août 1985, p. 10100.

12 T.A. Caen, 5 octobre 1999, M. et Mme Sedrettin DOGRU (req. n° 99-649) et T.A. Caen, 5 octobre 1999, M. et Mme Gursel KERVANCI (req. n° 99-650).

13 J.O., 20 décembre 1985, p. 14849.

14 En l’espèce, la commission d’appel de l’académie de Caen avait opté pour la confirmation des sanctions.

15 C.E., Assemblée, 26 octobre 1945, ARAMU et autres, Lebon, p. 213.

16 Voir par exemple les décisions C.C., 88-248 D.C., 17 janvier 1989, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, R., p. 18, et C.C., 89-260 D.C., 28 juillet 1989, Loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier, R., p. 71.

17 R.D.P., 1944, p. 256 ; l’arrêt C.E., Section, 5 mai 1944, Dame Veuve TROMPIER-GRAVIER (Lebon, p. 133) fait application de la règle du respect des droits de la défense, sans toutefois la qualifier de principe général du droit.

18 Après avoir écarté, conformément aux conclusions de M. le Commissaire du gouvernement DI PALMA et en application de la jurisprudence du Conseil d'État (voir notamment C.E., 27 février 1956, Association des propriétaires du Chesne, Lebon, p. 92), le moyen tiré des vices de procédure qui auraient entaché la décision du conseil de discipline, en raison du fait que les décisions prises sur recours obligatoire, comme en l’espèce, se substituent aux décisions initiales, rendant inopérants les vices qui affectaient éventuellement ces dernières.

19 La loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’Administration et le public (J.O., 12 juillet 1979, p. 1711 et rectificatif publié au J.O. du 13 juillet 1979, p. 1822) dispose en effet en son article 1er que « doivent être motivées les décisions qui : (...) — infligent une sanction ».

20 Voir C.E., 1er juillet 1974, Commune de Piscop, Lebon, p. 385.

21 Voir C.E., 4 mars 1985, Confédération d’entraide généalogique Rhône-Alpes (Lebon, p. 64) et C.E., 1er juillet 1987, MARNOT (req. n° 79.739).

22 J.O., p. 2489.

23 Voir C.E., 16 novembre 1984, M. WOETGLIN, Lebon, p. 373. Dans les lycées et collèges, la définition des sanctions disciplinaires fait l’objet d’une réglementation tant de la part du pouvoir exécutif que des établissements eux-mêmes. En application de l’article 8 (2, e) du décret n° 85-924 précité, le chef d’établissement « prononce seul les sanctions de l’avertissement ou de l’exclusion temporaire de huit jours maximum » ; l’article 1er du décret n° 85-1348 dispose quant à lui que c’est le conseil de discipline qui a compétence pour prononcer « soit l’exclusion temporaire supérieure à huit jours, soit l’exclusion définitive sur proposition motivée du chef d’établissement ». Ces deux décrets prévoient que les règlements intérieurs des établissements peuvent prescrire d’autres sanctions disciplinaires. C’est le cas au collège Jean-Monnet de Flers : le règlement intérieur applicable pendant l’année scolaire 1998/99 disposait que les sanctions de l’avertissement et de la retenue le samedi après-midi de 13h00 à 16h00 pouvaient être prononcées par un enseignant ou un surveillant. Il est néanmoins possible de se demander si le renvoi aux règlements intérieurs des établissements est suffisant pour répondre aux exigences du principe de la légalité des peines, alors qu’ils se situent au bas de l’échelle normative et qu’ils ne font l’objet que d’une publicité restreinte.

24 C.E., 9 octobre 1996, Société Prigest, req. n° 170.363.

25 Voir la décision n° 89-260 D.C. précitée, considérant n° 6.

26 À cet égard, on peut poser la question de savoir si l’une des sanctions prévues par le règlement intérieur du collège Jean-Monnet, la retenue, n’est pas privative de la liberté individuelle et dès lors contraire aux règles constitutionnelles.

27 Le droit constitutionnel dans la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, Cours du Professeur B. MATHIEU, D.E.A. de Droit Public, Université de Franche-Comté, Année 1996/97.

28 C.C., 88-248 D.C., 17 janvier 1989, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, op. cit.

29 C.C., 84-182 D.C., 18 janvier 1985, Loi relative aux administrateurs judiciaires, mandataires-liquidateurs et experts en diagnostic d’entreprise, R., p. 27.

30 C.C., 92-305 D.C., 21 février 1992, Loi organique modifiant l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, R., p. 27.

31 « Considérant que l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que : "La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée" ; — Considérant qu'il résulte de ces dispositions, comme des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, qu'une peine ne peut être infligée qu'à la condition que soient respectés le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère ainsi que le respect du principe des droits de la défense », C.C., 92-307 D.C., 25 février 1992, Loi portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, R., p. 48, considérants n° 24 & 25.

32 Le Conseil d'État a jugé dans un arrêt FOURNET en date du 17 décembre 1990 (Lebon, p. 367) que les dispositions de l’article 7§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales — « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international » — ne s’appliquent pas en matière disciplinaire. En tout état de cause, si le juge administratif n’applique pas en ce cas la C.E.D.H., il est tenu d’appliquer la Constitution.

33 C.C., 92-307 D.C., 25 février 1992, Loi portant modification de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, op. cit., considérant n° 26 ; C.C., 92-311 D.C., 29 juillet 1992, Loi portant adaptation de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d’insertion et relative à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et professionnelle, R., p. 73, considérant n° 5.

34 C.C., 80-127 D.C., 19 & 20 janvier 1981, Sécurité et liberté, R., p. 15.

35 C.C., 92-307 D.C., 25 février 1992, Loi portant modification de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, op. cit., considérant n° 27.

36 C.C., 88-248 D.C., 17 janvier 1989, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, op. cit., considérant n° 37.

37 J.O., 14 juillet 1989, p. 8860.

38 C.C., 84-185 DC, 18 janvier 1985, Loi modifiant et complétant la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 et portant dispositions diverses relatives aux rapports entre l’État et les collectivités territoriales, R., p. 36, considérant n° 18.

39 En conséquence, la disposition législative qui prévoit que la conclusion de contrats d’association entre les établissements privés d’enseignement du premier degré et l’État est soumise à l’accord de la commune où siège l’École est contraire à la Constitution. À l’inverse, en ce qui concerne les classes du second degré, la conclusion du contrat d’association peut comme le prévoit la loi être précédée de l’avis de la région ou du département concerné. C’est en soulevant d’office la contrariété avec l’exigence d’uniformité des conditions essentielles d'application que le Conseil Constitutionnel prononce la non-conformité de l’article 27-2 de la loi à la Constitution ; il ne statue pas sur les griefs que les requérants avaient formulés à l’encontre de cet article, qui s’articulaient pourtant autour de principes aussi importants que la liberté d’enseignement et l’égalité.

40 Voir en ce sens L. FAVOREU, « Chronique constitutionnelle — Le droit constitutionnel jurisprudentiel (mars 1983 — mars 1986) », R.D.P., 1986, p. 395.

41 C.C., 89-271 D.C., 11 janvier 1990, Loi relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, R., p. 21, considérant n° 12.

42 La situation se présente d’une manière quelque peu différente dans les écoles primaires : les conseils d’école votent le règlement intérieur de l’École compte tenu des dispositions du règlement-type du département arrêté par l’inspecteur d’académie. Celui-ci étant une autorité déconcentrée de l’État, on pourrait dès lors objecter que le ministre de l’Éducation nationale, en usant de son pouvoir hiérarchique, pourra faire prévaloir des modalités d’application identiques sur l’ensemble du territoire ; mais le fait qu’il n’ait pas l’obligation d’agir nous semble ne pas présenter les garanties suffisantes pour assurer la conformité du système à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

43 À ce propos, il faut noter que le recteur de la Grande mosquée de Paris et le Roi HASSAN II, Commandeur des croyants, ont tenu à rappeler en 1989 la signification essentiellement coutumière et non religieuse du port du foulard.

44 Avis n° 346.893 du Conseil d'État, Assemblée générale plénière, 27 novembre 1989, op. cit.

45 Le comportement d’un élève qui entend manifester ses croyances religieuses ne saurait porter atteinte au pluralisme et à la liberté d’autrui ; par ailleurs, l'exercice de la liberté de conscience peut être limité, selon le Conseil d'État, s'il fait obstacle « à l'accomplissement des missions dévolues par le Législateur au service public de l'éducation, lequel doit notamment, outre permettre l'acquisition par l'enfant d'une culture et sa préparation à la vie professionnelle et à ses responsabilités d'homme et de citoyen, contribuer au développement de sa personnalité, lui inculquer le respect de l'individu, de ses origines et de ses différences, garantir et favoriser l'égalité entre les hommes et les femmes ». D’autres principes peuvent encore limiter l’exercice de la liberté de manifester des croyances religieuses dans l’enceinte scolaire, tel le principe de dignité ou encore la nécessité de préserver la santé ou la sécurité des élèves.


46 Avis n° 346.893 du Conseil d'État, Assemblée générale plénière, 27 novembre 1989, op. cit.

47 Ibid.

48 Ibid.

49 C.E., 10 mars 1995, Époux AOUKILI, A.J.D.A., 1995, p. 335 ; J.C.P., 1995, II, 22431.

50 Y. AGUILA, conclusions sur C.E., 10 mars 1995, Époux AOUKILI, A.J.D.A., 1995, p. 333.

51 Voir Commission européenne des droits de l'homme, 12 juillet 1978, X. c./ Royaume-Uni : rejet de la requête d'un cyclomotoriste sikh qui revendiquait une dispense de port du casque pour pouvoir porter le turban traditionnel.

52 Sans même mentionner le sport de haut niveau, où casquettes, foulards noués sur la tête ou encore casques et bonnets foisonnent.

53 C.E., 10 mars 1995, Époux AOUKILI, op. cit. Dans cette espèce, le Conseil d'État rejette la requête de M. et Mme AOUKILI qui tendait à obtenir l’annulation de deux arrêtés rectoraux prononçant l’exclusion définitive de leurs filles Fouzia et Fatima, en « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que [celles-ci] ont refusé, lors d’un enseignement d’éducation physique, d’ôter le foulard qu’elles portaient en signe d’appartenance religieuse ; que le port de ce foulard est incompatible avec le bon déroulement des cours d’éducation physique ; que la décision d’exclusion définitive de ces deux élèves a été prise en raison des troubles que leur refus a entraînés dans la vie de l’établissement, aggravés par les manifestations auxquelles participait le père des intéressées à l’entrée du collège ; qu’ainsi la sanction de l’exclusion définitive dont elles ont fait l’objet était justifiée par les faits relevés à leur encontre ».

54 M.-C. PONTHOREAU, « Réflexions sur la motivation des décisions juridictionnelles en droit administratif français », R.D.P., 1994, p. 754.

55 Rapport du Conseil d'État, 1995, p. 162.

56 Voir C.E., 5 décembre 1924, LÉGILLON, Lebon, p. 985 ; C.E., 8 juin 1994, LECOMTE, R.F.D.A., 1994, p. 850.

57 J.F. LE CLEC’H, « De l’insuffisance des motifs manque de base légale des décisions judiciaires », J.C.P., 1948, n° 6890, cité in M. DEGOFFE, La juridiction administrative spécialisée, Paris, L.G.D.J., Collection Bibliothèque de Droit Public, Tome 186, 1996, p. 456.

58 M. DEGOFFE, La juridiction administrative spécialisée, op. cit., p. 437.

59 Pour un précédent, voir C.E., 10 mars 1995, Époux AOUKILI, op. cit., et les conclusions précitées de M. AGUILA, pour qui les désordres en cause dans l’espèce — la médiatisation de l'affaire qui s'est accompagnée de l'intrusion de journalistes dans l'enceinte du collège — « même s'ils ne sont pas directement le fait des parents ou de leurs filles ont bien été entraînés, à l'origine, par l'intransigeance de ces derniers. C'est la responsabilité initiale qu'il convient de rechercher pour savoir si le trouble à l'ordre public justifie la sanction ».

60 Voir C.E., 27 novembre 1996, Ligue islamique du Nord, Lebon, p. 461.

61 De telles demandes seraient à coup sûr rejetées par l’autorité compétente en toute légalité. Comme l'a excellemment montré M. AGUILA dans ses conclusions sur les arrêts C.E., Assemblée, 14 avril 1995, Consistoire central des israélites de France et autres et C.E., Assemblée, 14 avril 1995, M. KOEN (R.F.D.A., 1995, p. 585), « ce qui est alors contesté, au nom de préceptes religieux, c'est le contenu même du programme, c'est-à-dire un élément essentiel de la mission du service public de l'enseignement ». À l'obligation d'assiduité s'ajoutent donc deux raisons — le respect du contenu des programmes et le respect des missions du service public de l'enseignement — elles aussi énoncées comme pouvant limiter l'exercice de la liberté de conscience par le Conseil d'État dans son avis du 27 décembre 1989, qui militent dans le sens d’un rejet.

62 D. KESSLER, « Neutralité de l'enseignement public et liberté d'opinion des élèves (à propos du port de signes distinctifs d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires) », conclusions sur C.E., 2 novembre 1992, M. KHEROUAA et Mme KACHOUR, M. BALO et Mme KIZIC, R.F.D.A., 1993, p. 112.

63 Ibid.

64 Voir Le Monde du jeudi 5 décembre 1996, p. 10.

65 Indépendamment mais dans le même sens, une proposition de loi (n° 1344) « réaffirmant la laïcité du service public d'éducation, élément essentiel de la laïcité de l'État et de la neutralité des services publics, par la modification de la loi d'orientation sur l'éducation n° 89-486 du 10 juillet 1989 » a été déposée sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 14 novembre 1996 par MM. E. CHÉNIÈRE et F. GROSDIDIER. Arguant que « la laïcité de l'État, la laïcité de l'école, rempart contre la "bête immonde" des folies de l'esprit » a été dévoyée lors du « funeste 27 novembre 1989 » quand le « Conseil d'État abolit d'un trait de plume et sans réelle légitimité le principe de laïcité tel que le Législateur l'avait conçu et le remplace, comble de la dérision juridique, par le principe exactement inverse et ce, sous la même dénomination », ils proposent notamment d'insérer dans la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989 les dispositions suivantes : « Est interdit dans l'enceinte des établissements publics d'enseignement et pendant le déroulement des activités relevant des missions de ces établissements, le port de toute marque, signe ou insigne ostentatoire, exprimant ou manifestant une appartenance religieuse, politique ou philosophique. Par ostentatoire, il faut entendre non discret, exagérément visible ou démonstratif ou encore attentatoire soit à l'ordre ou à la paix, soit au bon fonctionnement du service public parce que mal toléré par tout ou partie de la communauté scolaire ».

66 Le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand semble s’être engagé dans la voie d’un tel contrôle. Dans un jugement en date du 6 avril 1995 (L.P.A., 18 août 1995, p. 15, et la note de C. MARLIAC et J. HAMME), il a en effet qualifié le hidjab — qui, comme le relève M. Nicolas CHAUVIN, est plus qu’un foulard, car il couvre les épaules et une partie du visage — de « signe d’identification marquant l’appartenance à une obédience religieuse extrémiste d’origine étrangère » et a souligné que « cette obédience, qui a des visées internationales, se réclame d’une orientation particulièrement intolérante [qui] refuse aux personnes du sexe féminin le bénéfice de l’égalité que leur reconnaissent les institutions démocratiques de la France ». « Le jugement ne sera pas annulé par le Conseil d’État parce qu’il fait droit à la requête, en annulant l’exclusion pour le non-respect des droits de la défense » (N. CHAUVIN, « Laïcité scolaire et protection des élèves », R.A., 1997, p. 19).

67 Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958.